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Laurence Ray

"Hiver à Sokcho" : rencontre avec le réalisateur Koya Kamura, l'actrice Bella Kim et la romancière Elisa Shua Dusapin

Présenté en avant-première au festival Cinéroman de Nice, Hiver à Sokcho a été notre gros coup de cœur de cette 6e édition. Le film de Koya Kamura, adapté du roman d’Elisa Shua Dusapin est un véritable petit bijou. Le réalisateur franco-japonais qui signe là son premier long métrage nous emmène à Sokcho, petite ville balnéaire de Corée du Sud. C’est là que vit Soo-Ha, interprétée avec beaucoup de délicatesse par Bella Kim, qui fait ses premiers pas au cinéma. Elle travaille dans une pension, accueille les touristes, fait les repas et sert occasionnellement d’interprète. Un jour, en plein hiver, arrive un auteur de romans graphiques français (Roschdy Zem). Il a prévu de rester quelques jours, pour travailler. Il éveille la curiosité de la jeune femme née d’un père français qu’elle n’a jamais connu. Le film entremêle subtilement et délicatement plusieurs thèmes, la quête d’identité, la difficulté à communiquer, à accepter son corps. Il sort au cinéma le 8 janvier. Nous ne pourrions que vous conseiller de vous laisser embarquer dans ce voyage poétique hivernal en Corée.

 

Le réalisateur Koya Kamura et l'actrice Bella Kim étaient à Nice en octobre dernier à l'occasion du festival Cinéroman. Il étaient accompagnés de la romancière Elisa Shua Dusapin. Tous les trois nous ont parlé du film mais aussi du travail passionnant de l'adaptation.


Elisa Shua Dusapin Koya Kamura Bella Kim Hiver à Sokcho

Pourquoi avez-vous eu envie d'adapter ce roman de Elisa Shua Dusapin ?


Koya Kamura : Beaucoup de choses m'ont pu dans ce roman mais plus particulièrement la thématique de l'identité. On a ce point commun avec Elisa. Je suis franco-japonais et elle est franco-coréenne. C'est aussi le cas du personnage principal. Je pense que, dans nos parcours de vie, on est passé par des questions qui ont beaucoup résonné en moi à la lecture du roman. Après avoir discuté avec Elisa, j'ai eu encore plus la sensation de voir mes propres questionnements en miroir. Et puis, ce qui m'a beaucoup plu dans le roman, c'est cette ville, bondée en été et vidée de touristes en hiver. Cette espèce de lieu un peu figé, voire paralysé me plaisait. J'avais déjà traité un peu cette idée dans mon premier court-métrage avec Fukushima, au Japon.


Elisa, Hiver à Sockcho est votre premier roman. Qu'est-ce qui vous a donné envie de céder les droits du livre à Koya Kamura ?


Elisa Shua Dusapin : L'adaptation a été faite longtemps après que j'ai écrit le roman. Je l'ai écrit entre 17 et 20 ans. Je crois que la conscience que j'ai eu de cette histoire est apparue principalement à partir du moment où j'ai commencé à avoir un lectorat. J'ai la chance d'être traduite dans le monde entier. Je m'aperçois à quel point c'est une histoire qui parle aux gens mais dans laquelle il y a beaucoup d'espaces qui sont libres. En écrivant ce texte, j'avais vraiment envie de laisser beaucoup d'espace aux lecteurs. J'ai accepté de céder les droits à Koya à partir du moment où j'ai eu l'impression qu'il avait senti quelque chose d'essentiel dans cette histoire, c'est-à-dire une quête identitaire, et surtout pas une forme d'histoire d'amour entre deux étrangers au bout du monde. D'autres cinéastes avaient plus envie de mettre l'accent sur cet aspect-là, et, pour moi, c'était hors de question. La vision de Koya Kamura était très rassurante.


En voyant le film, avez-vous reconnu votre roman ?


Elisa Shua Dusapin : Je suis très fière de qu'il a fait. Au-delà d'avoir reconnu quoi que ce soit, j'ai plutôt eu l'impression d'avoir pu entrer dans quelque chose de très intime de moi-même, comme si le film était une forme de monde intérieur qui m'appartient et dans lequel Koya aurait mis des projecteurs sur des zones dont je ne suis pas forcément consciente. C'est une adaptation. Il y a donc beaucoup de choses qui ne m'appartiennent pas et c'est tant mieux mais en même temps je peux reconnaître et retrouver des formes de matériaux émotionnels qui sont similaires.


Le livre aborde plusieurs thèmes. C'était essentiel pour vous de tous les traiter ?


Koya Kamura : C'est un premier film. L'une des difficultés pour moi était de réussir à tout aborder sans se perdre en route. Il y a le thème de l'identité, le regard des autres, la communication, le trouble alimentaire. J'espère qu'à l'image, on arrive à reconnecter avec tous ces thèmes-là.


C'est Rochdy Zem qui incarne ce Français venu passer plusieurs semaines à Sokcho en plein hiver...


Koya Kamura : J'avais très envie que Roschdy Zem joue dans le film mais j'avais bien en tête que je n'étais pas connu et que c'était mon premier long métrage. Heureusement, mon producteur m'a incité à lui envoyer le scénario. On s'est rencontrés et il a accepté le rôle. Pour moi, c'était déjà quelque chose d'incroyable.


Il s'agit du premier film de Bella Kim. Elle a passé des castings pour le rôle ?


Koya Kamura : Trouver l'actrice qui incarnerait Soo-Ha était un deuxième challenge car le profil était très complexe. Il fallait une jeune femme parlant un coréen parfait et un français presque parfait. Je voulais que la comédienne soit très grande pour éviter au maximum d'avoir à l'image cette espèce de domination de cet homme de 50 ans occidental arrivant en Asie et fréquentant une jeune femme de 25 ans. Je voulais qu'elle soit à sa hauteur et qu'elle soit capable de lui répondre. Dans le livre, tout comme dans le film, il est question du corps. Je voulais donc qu'elle soit trop grande pour son corps et pour son entourage. On a rencontré très peu de candidates. Bella est arrivée au casting avec plein de questions. J'a alors vu qu'elle avait parfaitement compris le rôle. Après, elle a travaillé avec un coach pendant trois mois. Je suis ravi de mon choix !


Teaser du film "Hiver à Sokcho"


Bella, faire ce film a dû être une très belle expérience. C'est votre premier rôle au cinéma...


Bella Kim : J'ai vécu à Sokcho une partie de ma jeunesse. J'y suis arrivée avec mes parents quand j'avais sept ans et on y est restés pendant cinq ans. Je connais par cœur cette ville. C'était donc le destin ! Un producteur coréen m'a contactée sur instagram. J'ai d'abord lu le roman puis le scénario du film. Je me suis reconnue dans l'histoire de cette jeune fille. J'ai vécu la même chose qu'elle : la quête d'identité, le sentiment d'isolement. Ca fait à peu près dix ans que j'habite en France. J'ai pensé que je convenais vraiment pour ce rôle. J'ai beaucoup travaillé.


Pour votre premier film, vous avez joué aux côtés de Rochdy Zem. N'étiez-vous pas intimidée ?


Bella Kim : La première fois que je l'ai vu, c'était pour une lecture. Il est plus grand que moi, ce qui est assez rare ! Il a beaucoup d'aura. J'avais peur : je ne pouvais pas regarder ses yeux mais il m'a tout de suite mise à l'aise. Il m'a posé des questions, m'a demandé pourquoi j'étais venue en France. Il m'a respectée en tant que rôle principal. Je suis une débutante alors qu'il est un acteur avec une très grande carrière. Il était toujours présent pour moi. J'ai vraiment été honorée de tourner avec lui.


Koya Kamura : Il était très élégant. La question s'est aussi posée pour moi. Roschdy Zem est aussi un réalisateur alors que je suis un novice. Il s'est montré très investi et très professionnel dans le projet, en gardant la position qu'il devait avoir. Je me rappelle que pour une séquence qui ne fonctionnait pas, de très loin et très timidement, il m'a suggéré quelque chose. Ca a marché tout de suite. Il s'est toujours montré élégant. Pour nous, c'était très enrichissant.


Elisa, en écrivant le livre, bien évidemment, vous n'aviez en tête ni Roschdy Zem ni Bella Kim. Qu'est-ce que cela vous fait de voir vos personnages incarnés par eux ?


Elisa Shua Dusapin : Quand j'ai écrit le roman, je ne l'ai jamais imaginé à l'écran, incarné par des personnes réelles. Roschdy avait conscience de ce que cela pouvait avoir comme impact sur moi, sur le plan émotionnel. Quand on s'est rencontrés, il a voulu qu'on parle longuement de son personnage. On a pris une journée pour aller marcher dans la montagne. Il m'a parlé de la manière qu'il avait de travailler le personnage, m'a posé plein de questions avec une immense humilité. Il avait lu le roman. Tout comme Koya, il m'a dit qu'il ne fallait pas du tout sexualiser la relation dans le film. Certes, il y a du désir et de la sensualité mais ce n'est pas une histoire qui se passe à ce niveau-là entre eux deux. Il l'avait senti tout de suite. J'ai trouvé ça formidable.


Il y a une scène très forte dans le film où ils se rendent à la frontière, dans la zone démilitarisée...


Elisa Shua Dusapin : C'est une scène charnière dans le roman où on montre la tension sous-jacente entre les deux pays, qui peut symboliser aussi la tension entre les deux personnages mais aussi les tensions qu'il peut y avoir à l'intérieur de soi.Quand j'ai commencé à écrire ce roman à 17 ans au lycée, la première scène que j'ai écrite c'est celle qui se passe à la frontière. Je crois qu'en tant que franco-coréenne, c'est quelque chose d'emblématique. Je ne pourrai jamais aller en Corée du Nord. Je trouvais très beau que ce soit un franco-japonais, qui travaille sur ce texte. C'est quelque chose qui nous a rendus complices.


Koya Kamura : Pour moi, cette scène était très importante. Je suis franco-japonais et je ne connaissais pas la Corée avant de tourner ce film. Je me suis posé la question d'adapter cette histoire au Japon mais j'ai très vite abandonné cette idée. D'une part, la thématique du corps, de l'apparence, de la chirurgie esthétique est très présente en Corée. D'autre part, cette situation historique et géographique d'un pays divisé en deux est un écho parfait avec le personnage de Soo-Ha qui se sent divisée et qui a besoin de se réunir, d'une certaine matière. Pour moi, cette séquence à la frontière est donc très importante sur le plan symbolique.


Bella Kim : Sokcho est une ville très touristique mais c'est une ville très spécifique. Elle est proche de la frontière. Elle a un côté triste.


Elisa Shua Dusapin : J'ai découvert Sokcho en 2011. A ce moment-là, j'avais été frappée par une forme de tristesse, de mélancolie. C'était l'hiver. Je n'arrivais pas à croire qu'elle pouvait être une ville touristique. Je ne voyais que des barbelés électrifiés, des soldats avec une mitraillette. Il y avait de la neige fondue sur la plage. En y retournant pour le tournage, je n'ai pas eu l'impression de reconnaître la ville.


Etes-vous en train d'écrire en ce moment ?


Elisa Shua Dusapin : Je vis au Proche-Orient en ce moment. Je travaille constamment sur la notion de frontière. Que je le veuille ou non, ça fait partie de moi !


Hiver à Sokcho de Koya Kamura avec Bella Kim et Roschdy Zem au cinéma le 8 janvier



Hiver à Sokcho Koya Kamura affiche

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