Pour son premier film en tant que réalisatrice, l'actrice Céline Sallette a mis en lumière la vie de l'artiste Niki de Saint Phalle. Tout simplement intitulé Niki, le film commence dans les années 50 lorsque Niki, arrivée en France avec son mari, enchaîne les contrats en tant que mannequin. Inquiet de la voir perturbée et en proie à des troubles psychiatriques, son époux la conduit chez un médecin qui la fera interner dans un hôpital psychiatrique pendant plusieurs semaines. Elle prend alors conscience qu'elle a enfoui en elle un profond traumatisme : enfant, elle a été violée par son père. Le film montre avec justesse et délicatesse comment l'art a permis à Niki de Saint Phalle de se reconstruire, voire de vivre. C'est à Charlotte Le Bon que Céline Sallette a confié le rôle de cette artiste iconique. Au-delà de sa ressemblance troublante avec Niki, l'actrice livre une performance époustouflante.
Le film faisait partie de la sélection officielle du 77e Festival de Cannes dans la section Un Certain Regard. Quelques jours avant sa sortie en salles, le public du festival Cinéroman de Nice a pu le découvrir en avant-première en présence de la réalisatrice Céline Sallette, de Charlotte Le Bon et de la comédienne Judith Chemla qui interprète l'artiste plasticienne Eva Aeppli. Nous les avons rencontrées à l'Hôtel Negresco. Retour sur une conversation avec trois femmes passionnées.
Niki est votre premier film en tant que réalisatrice. Vous pensiez depuis longtemps à franchir cette étape ?
Céline Sallette : C'est venu progressivement, en écho avec des choses de ma propre vie, pour sortir de ma dépendance et aller vers l'autonomie. Se lever le matin pour écrire, c'est autre chose que d'attendre que le téléphone sonne quand on est acteur. J'étais aussi à un moment de ma vie où je n'avais pas assez fait pour être désirée à des endroits qui m'intéressait comme actrice. En même temps, il y avait problablement des choses dans le métier d'acteur qui ne m'intéressaient pas assez non plus.
Pour votre première réalisation, vous vous êtes intéressée à Niki de Saint Phalle. Pourquoi ce choix ? Y pensiez-vous depuis longtemps :
Céline Sallette : Lorsque j'ai vu une interview d'elle, j'ai été frappée de voir à quel point elle était en avance sur son temps. Elle parlait presque d'aujourd'hui. En étudiant son parcours et sa vie, ça m'a semblé important de la réentendre maintenant.
Le film a été montré pour la première fois au Festival de Cannes. Comment avez-vous vécu cette projection ?
Céline Sallette : Pour moi c'était un grand soulagement d'être à Cannes. C'était un immense cadeau. Comme on a fait le film sans les accords des familles, il y avait quelque chose de l'ordre de la reconnaissance du fait qu'on n'avait pas tout à fait trahi Niki. En allant à Cannes, on l'a mise à sa place, au milieu des artistes du monde entier. Je n'avais pas tellement de légitimité à faire ce film ; c'était donc important que mon travail soit reconnu par le comité de sélection et soit validé par le public. C'était une magnifique projection !
Comment s'explique le fait que vous n'ayez pas eu les droits ?
Céline Sallette : La famille et la fondation ont toujours refusé que Niki soit représentée, quel que soit le sujet du film qui aurait été fait sur elle. Comme on a contrevenu, on a assumé nos choix.
Pourquoi avoir fait le choix de ne pas montrer les œuvres de Niki de Saint Phalle dans le film ?
Céline Sallette : C'est parti d'une contrainte parce qu'on n'avait pas les droits. Mais cette contrainte nous a conduits à regarder Niki. Le sujet du film, c'est comment elle se transforme et non pas ce qu'elle produit. Au fond, cette contrainte nous a donné beaucoup de liberté et de créativité.
Charlotte, au-delà de la ressemblance physique, quels points communs pensez-vous avoir avec Niki ?
Charlotte Le Bon : Elle est passée par le mannequinat. Elle a été actrice. Elle avait aussi un désir de quête. J'ai l'impression que je suis un peu comme elle. La mienne n'est pas aussi précise que celle de Niki mais c'est quelque chose que je comprends totalement.
Ce genre de rôles peut être perturbant pour une actrice. Cela a-t-il été le cas pour vous ?
Charlotte Le Bon : Je pense que ça aurait pu être le cas si je n'avais pas été bien accompagnée. Céline a été une réalisatrice dans la bienveillance absolue. Je me suis toujours sentie aimer. Elle me faisait beaucoup confiance, ce qui m'a permis de déployer des choses que je n'avais pas montrées avant. Parfois aussi, elle me donnait des outils très concrets qui m'ont aidée à déployer certaines choses. Je pense que lorsqu'on est bien aimé, on se sent plus libre. A la fin du tournage, je pensais être fatiguée mais j'étais en pleine forme. J'avais beaucoup d'énergie ! On aurait pu tourner « Niki 2 ».
Ce rôle a dû nécessiter beaucoup de préparation et de documentation...
Charlotte Le Bon : Céline souhaitait que je fasse un travail sur la voix. J'ai donc beaucoup écouté et regardé Niki. Au début, j'étais dans une forme de mimétisme pour essayer de la trouver en moi puis en commençant le tournage, je me suis concentrée sur le présent et sur le vivant. Je me suis laissée inspirer par ça !
Y a-t-il des scènes que vous redoutiez plus que d'autres ?
Charlotte Le Bon : Il y en avait plein ! Le troisième jour du tournage, je me suis dit qu'aucune journée ne serait tranquille ! Chaque scène était dense. C'était très précis ce que Céline souhaitait.
Judith, vous interprétez Eva Aeppli. Qui était-elle ?
Judith Chemla : C'était la première femme de Jean Tinguely qui deviendra plus tard le mari de Niki. Elle est une vraie amie, comme une sœur. C'est une femme très libre, qui a un vrai amour pour son mari. Elle ne se l'approprie pas : c'est même elle qui pousse à ce que la relation entre lui et Niki aboutisse. Elle pousse Niki à se révéler. Je suis très fière d'être dans ce film. Lorsque je l'ai découvert à Cannes, j'ai été profondément bouleversée. Ce que fait et vit Charlotte dans le film, c'est vraiment inouï, extraordinaire! Elle ne se regarde pas jouer mais elle vit et traverse vraiment les choses. C'est très rare !
Le festival Cinéroman se déroule en même temps que le Festival du livre de Mouans-Sartoux. Vous allez y présenter votre livre Notre silence nous a laissées seules ….
Judith Chemla : Mon livre a un lien avec Niki. C'est oser regarder le réel même s'il est noirparce que c'est en osant regarder ce qui est et pas se racontant des histoires, qu'on défend mieux ce qui est beau aussi. Mon livre, c'est oser regarder en face ce que j'ai toléré dans ma vie, des violences qui sont si courantes dans notre société. C'est aussi reprendre des forces et dire qu'une autre vision du monde est possible. On a beaucoup de force de lumière en nous ! L'existence, c'est aussi se sortir de ce qui nous entrave et nous détruit. Partager tout cela avec le public, c'est une nécessité. Si l'intime est transformé en œuvre, il devient collectif et politique. Tant qu'on ne dit pas tout ça, on ne sait pas à quel point ça résonne chez les autres ! On se rend compte qu'on n'est pas seul et ça donne de la force.
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